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Quel état des lieux urbain avez-vous fait il y a 10 ans, en 2014, lorsque vous et votre équipe municipale avez été élus ?
Gaël Perdriau : En 2014, Saint-Étienne subissait une crise démographique depuis 30 ans, qui n’avait pas été prise en compte dans l’urbanisme de la ville. Certes, Michel Thiollière avait insufflé un renouveau, par la rénovation urbaine avec l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) et la création de l’Établissement public d'aménagement de Saint-Étienne (Épase), mais il y avait encore beaucoup de vieux bâtiments, industriels, tertiaires, résidentiels, qui étaient inoccupés, dégradés. Ces bâtiments détérioraient la physionomie de la ville et n’incitaient pas de nouveaux habitants à venir s’installer. Après 20 ans comme conseiller municipal, j’avais la conviction que nous devions impulser une dynamique positive pour stopper l’hémorragie. Et vite.
Votre stratégie a été de vous appuyer sur trois piliers. Quels sont-ils.
G.P. : Tout d’abord, un programme massif de démolitions de bâtiments dégradés et sans intérêt patrimonial, afin d’aérer la ville et de se donner la liberté de réaménager l’espace libéré, soit en espaces verts, soit en construisant des immeubles neufs répondant aux attentes du marché, soit en réservant ce foncier pour l’avenir, ce qui s’est avéré pertinent au regard de la loi « Zéro artificialisation nette » des sols et les nouveaux enjeux environnementaux.
Jean-Pierre Berger : Il faut bien avoir en tête qu’en 2014, la feuille de route était vierge. Il a fallu lancer la machine, qui est lourde et coûteuse. Et faire des choix qui allaient marquer durablement la ville, en intervenant, par exemple, sur la friche du Progrès à Bergson, sur l’îlot Rondet-Tarentaize, puis sur les tours Peyrard à La Cotonne, rue Beaunier au Soleil, rue Masaryk à Solaure, ou, plus récemment, sur la friche Eden, rue Blanqui… En 10 ans, nous avons démoli 30 hectares de surfaces au sol. D’ici 2026, nous en aurons démoli 8 de plus.
Quel a été votre deuxième pilier ?
G.P. : Le deuxième pilier a été la rénovation des logements existants, aussi bien dans le parc public que privé, afin de réduire le taux de vacance. Dans le public, il a fallu imposer un moratoire sur les constructions en convainquant les bailleurs sociaux de porter leur capacité d’investissement sur la réhabilitation plutôt que sur la création de logements neufs. Ça n’a pas été facile mais les résultats sont là. En 2014, nous avions un taux de vacance de 15 % dans le logement social. Il est désormais divisé par deux.
Pour ce qui est du parc privé, on connaît l’histoire de la ville, avec des propriétaires qui ne sont pas forcément en mesure de rénover leur bien. Il fallait impérativement que la Ville les aide. Nous avons donc versé une aide aux copropriétés en difficulté. Je pense notamment à plus de 500 logements à La Cotonne dont les travaux ont pu être subventionnés à hauteur de 80 % (voir notre article en p. 36). C’est colossal. En parallèle, nous avons aussi proposé des aides directes aux propriétaires privés pour les inciter à rénover leur logement. Encore une fois, la priorité était la rénovation du parc immobilier dans son ensemble.
Et le troisième pilier ?
G.P : Le troisième pilier, ce fut d'attirer et gagner la confiance de promoteurs qui n’investissaient plus dans notre ville, estimant qu’il n’y avait plus de marché. Or, il nous fallait fixer la population existante et attirer de nouveaux habitants avec des projets susceptibles de répondre à leurs attentes. Il s’avère que, très vite, nos ambitions, clairement affichées, ont été perçues comme des signaux positifs. Annoncer par exemple, dès 2014, que nous allions doubler le nombre d’étudiants en 15 ans a été une vision claire qui a retenu l’attention des investisseurs. Aujourd’hui, nous avons atteint, à mi-parcours, la moitié de cet objectif, et jamais nous n’avons eu autant de constructions de logements étudiants en 10 ans. On en a recensé 880 de plus pour la seule année 2023, c’est historique. De même, quand on lance des appels d’offres aujourd’hui, on constate que les investisseurs sont 30 voire 40 à y répondre, ce qui n’était absolument pas le cas auparavant. On sent bien qu’ils ont tout simplement envie de prendre part à ce dynamisme retrouvé et à ce renouveau, et c’est, bien évidemment, une grande satisfaction.
J.-P. B. : Tout ce qui vient d’être évoqué nous a permis d’atteindre un objectif majeur : la diversification de l’habitat, pour attirer les classes moyennes ainsi que les cadres supérieurs dans notre ville. Et je tiens à saluer le travail collectif qui a été fait avec tous les acteurs de l’habitat, comme les bailleurs sociaux, l’Épase, l’Anru, les promoteurs, les agents immobiliers ou encore les notaires. Ce travail est moins visible mais il a été primordial pour nous de pouvoir nous appuyer sur ces partenaires pour enclencher ce cercle vertueux.
G.P. : J’ajoute que cette stratégie en matière d’urbanisme a englobé d’autres facteurs, comme la propreté et la tranquillité publique. À quoi cela servirait-il d’avoir un bel appartement si le cadre de vie n’est pas à la hauteur ? Le travail quotidien des agents de la Ville est indispensable à la réussite de notre projet urbain et il est important de le souligner.
Justement, concernant le cadre de vie, la présence de la nature en ville est aussi une part importante du renouveau urbain stéphanois. Quelle place avez-vous souhaité lui donner ?
G.P. : En matière d’urbanisme, le vide est aussi important que le plein. Offrir un espace de verdure, un lieu de vie plaisant, à portée de mains des habitants, est un atout crucial, a fortiori à une époque où de plus en plus de personnes formulent le souhait de pouvoir rester dans leur domicile le plus longtemps possible. L’exemple de la friche Eden est, en ce sens, révélateur : nous avons en effet fait le choix de créer, rue Blanqui, un espace vert aussi vaste que la place Dorian, là où il aurait été plus facile de vendre ce terrain à un promoteur immobilier. C’est osé ! Mais c’est un parti pris que nous assumons et dont nous sommes fiers. Rappelons que Saint-Étienne est la 7e ville la plus verte de France, avec 58 m2 de surface arborée par habitant, classement établi à partir de photographies aériennes de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Et que chaque habitant est à moins de 300 m d'un parc ou d'un jardin.
J.-P. B. : N’oublions pas que, depuis le confinement, nous avons tous modifié nos manières de consommer, d’habiter, de nous déplacer, avec un retour prononcé à la nature. Nous sommes passés de l’économie de la possession à l’économie du partage, notamment des espaces. C’est pourquoi aménager des lieux de vie en commun et en extérieur est une réponse adaptée, tout comme la mise en place de corridors écologiques, entre la place Villeboeuf et le musée d’Art et d’Industrie par exemple, en plus des atouts évidents que cela comporte en matière de biodiversité, de respect de l’environnement et de fraîcheur en ville en période de forte chaleur.
Quelle est l’importance des transports en commun, et de la mobilité en général, dans un projet urbain comme celui de Saint-Étienne ?
G.P. : Un projet urbain s’accompagne évidemment d’une stratégie en matière de mobilité. Il s’agit de renforcer l’accessibilité et l’attractivité de certains secteurs. En la matière, je pense notamment au quartier du Soleil qui a bénéficié de l’arrivée de la ligne de tramway T3. Aujourd’hui, on ne recherche plus de projets dans ce secteur, on les choisit. Plus largement, développer la mobilité est un service que l’on doit aux habitants pour faciliter leur quotidien. C’est pourquoi nous avons fait en sorte de proposer une tarification incitative pour les transports en commun, de ressusciter le trolleybus, et de développer le vélo en libre-service électrique ainsi que les parcs-relais en entrées de ville.
Dans les choix opérés et dans vos décisions, quelle place avez-vous donné à la concertation ?
J.-P. B. : Quartier par quartier, projet par projet, nous avons tenu à associer les habitants à nos décisions en organisant de nombreuses réunions de concertation. Et je trouve cela génial d’avoir vu tous ces Stéphanois mobilisés, dans un esprit constructif. Nous nous sommes appuyés sur l’intelligence citoyenne pour dessiner ce projet urbain et prendre des décisions qui nous engagent pour 20, 30 ans. À titre personnel, chaque matin, je prends le tram et je me pose cette même question : « est-ce que nous sommes parvenus à changer la vie des personnes qui sont autour de nous ? Est-ce que nous avons réussi à améliorer leur quotidien ? » En 10 ans, nous avons étrenné, nous avons innové. Aménager, c’est s’adapter et anticiper. Je suis persuadé qu’à l’avenir, la différence entre les territoires se fera sur la capacité à mieux vivre ensemble. Et je pense que Saint-Étienne peut être un exemple pour d’autres villes en France.
Finalement, quel regard portez-vous aujourd’hui sur le travail qui a été accompli en 10 ans ?
G.P. : Je crois que ma plus grande satisfaction, c’est non seulement de voir que notre stratégie a porté ses fruits, et plus rapidement que nous l’espérions, mais aussi d’avoir agi sur l’ensemble de la ville. Si vous prenez une carte de Saint-Étienne, vous constaterez qu’aucun quartier n’a été oublié, de Montreynaud à Solaure, en passant par La Cotonne, Le Soleil, Terrenoire, Bergson ou l’hypercentre. L’urbanisme, ce n’est pas que de la pierre, c'est améliorer le bien-être des habitants. Ce qui donne du sens à notre projet urbain, ce sont toutes les femmes et tous les hommes qui habitent ici et qui aspirent, légitimement, à vivre, partout à Saint-Étienne, dans de bonnes conditions. C’est pour eux que nous avons fait ces choix.
Saint-Étienne a su s’appuyer sur ses forces, tout en gommant ses faiblesses. Elle est parvenue à se tourner vers l’avenir sans rien renier de son passé, ni de son histoire. C’est une ville qui est aujourd’hui prête pour les défis de demain. En aucun cas il ne faut ralentir la dynamique qui a été lancée. Ma plus grande satisfaction sera d’avoir rendu leur fierté aux Stéphanois.